“LE ÀTRIMOINE STOPPE LA DÉSHUMANISATIÓN DES VILLES”
Dic 19 2020

POR ANTONIO BRAVO NIETO, DOCTEUR EN HISTOIRE DE L’ART, CRONISTA OFICIAL DE MELILLA. 

Rencontré en marge d’une manifestation consacrée à la sauvegarde du patrimoine espagnol, organisée par l’Institut Cervantès d’Oran,  Antonio Bravo-Nieto, docteur en histoire de l’art, raconte son histoire avec la Ville d’Oran et son patrimoine architectural. Une visite guidée dans un patrimoine qui témoigne d’une histoire ancienne au confluent de plusieurs cultures et civilisations. Familier de ce pan quelque peu ignoré de l’architecture et ce qu’elle dit sur les temps anciens, Bravo-Nieto donne à voir une richesse infinie que représentent ses prouesses réduites en vestiges.

Liberté :  Vous avez travaillé pendant trois décennies sur le patrimoine espagnol au Maroc mais aussi en Algérie, plus particulièrement à Oran. Quelles sont vos premières constatations sur l’état de sauvegarde de ce patrimoine ?

Antonio Bravo-Nieto : Les villes marocaines de Tétouan et Tanger, et la ville d’Oran sont de grandes capitales riches en patrimoine historique. Tout cela est le reflet de leur histoire. Cet héritage est de plus en plus assumé par la société qui voit dans ce patrimoine sa propre identité. Dans le cas d’Oran, le patrimoine est très présent dans son urbanisme et dans ses monuments. Les autorités commencent de plus en plus à s’inquiéter de ces problèmes lorsqu’elles se rendent compte que l’ensemble de la société souhaite leur conservation. Actuellement, il y a beaucoup à faire, mais comme le disait le poète espagnol Antonio Machado, “se hace camino al andar” (le chemin se fait en marchant, ndlr).

Quels sont, selon vous, les vestiges espagnols les plus importants à Oran ?

Oran et Mazalquivir (Mers El-Kebir, ndlr) possèdent l’un des complexes fortifiés les plus importants de toute l’Afrique du Nord. La cité islamique, avant l’arrivée des Espagnols, persiste dans de nombreux éléments, et des fortifications du XVIe au XVIIIe siècles s’y ajoutent. Mais pas seulement les murs car, à l’intérieur de la vieille ville, se trouvent d’importants vestiges et architectures, bien plus que ce que les gens pensent.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience sur le terrain à Oran et nous dire comment vous qualifiez le travail avec les équipes locales ?

Je suis venu à Oran pour la première fois en 2013, toujours coordonné par l’Institut Cervantès (d’abord Javier Galván et maintenant Inmaculada Jiménez) et depuis, je suis revenu chaque fois que j’ai pu. J’ai toujours été très bien accueilli par ses habitants qui m’ont accompagné lors des visites pour essayer de me faire connaître leur ville. L’Oranais est fier de sa ville, de son héritage, je l’ai remarqué dès le premier instant. Les associations civiques qui existent (comme Bel Horizon, avec Kouider Metair qui est un collaborateur important) permettent de visualiser cet intérêt. Mon travail a toujours été confortable et j’ai travaillé avec un grand confort. Je pense qu’il existe de nombreuses possibilités pour l’avenir de travailler ensemble pour le patrimoine.

Croyez-vous que les autorités locales aient pris conscience de l’importance de ce patrimoine ? Si oui, dans quelle mesure ?

Je veux être optimiste à ce sujet. L’état du patrimoine historique d’Oran (comme celui de nombreuses autres villes en Algérie, au Maroc et en Espagne) pourrait toujours être meilleur. Les autorités doivent sentir que la société exige des actions sur ce qu’elles considèrent comme leur patrimoine, car ce patrimoine rend leur cité différente des autres villes. Aujourd’hui, avec une architecture moderne, toutes les villes se ressemblent, qu’elles soient en Asie ou en Amérique. Mais le patrimoine historique est ce qui individualise les villes, leur donne leur personnalité. Il n’y a pas d’autres villes comme Oran, tout comme il n’y a pas d’autres villes comme Melilla ou Alger, car leur patrimoine les rend différentes. Cela leur donne de la personnalité.

Quelles sont les recommandations que vous avez faites au sujet du patrimoine espagnol à Oran ?

Je suis enseignant et aussi chercheur. Ma recommandation est d’enquêter en profondeur, de publier les résultats, de joindre toutes les forces des personnes qui ont le même objectif. Il est également obligatoire de classer, de cataloguer, ainsi que de promouvoir des politiques de valorisation de la ville historique, ce qui permet à ses habitants de récupérer cet espace, de mieux vivre et de faire du vieux centre un lieu où tout le monde voudrait être. Ce que je vous dis n’est pas un rêve, il a été réalisé dans de nombreux endroits, il y a des expériences antérieures et proches en Afrique du Nord. Il s’agit de choisir un modèle et de travailler ensemble.

Comment expliquez-vous que les Algériens et les Oranais ignorent beaucoup de choses sur ce patrimoine ?

C’est facile car cela se produit dans tant d’autres endroits dans le monde. Les gens quittent les centres historiques parce qu’il est inconfortable d’y vivre. Ils vont dans de nouveaux quartiers, ils oublient leurs monuments. Et on arrive à un point où personne ne les connaît plus car les jeunes n’y ont pas vécu. C’est pourquoi nous devons éduquer et enseigner l’importance du patrimoine pour arrêter la déshumanisation actuelle des villes.

Que peut apporter l’expertise espagnole à propos de la restauration du patrimoine espagnol en Algérie et dans le monde ?

J’ai travaillé sur de nombreux projets d’intervention sur le patrimoine. Tant dans la préparation d’un plan global de protection de la ville fortifiée de Melilla (qui a remporté le prix Europa Nostra) que dans le catalogage d’architecture et dans des actions directes sur des monuments spécifiques. Les mécanismes d’action et d’expérience peuvent toujours être utilisés pour les appliquer à des lieux similaires.

Pouvez-vous faire un parallèle entre vos expériences “marocaine” et “algérien-ne” ? Avez-vous rencontré les mêmes difficultés sur le terrain ? Y a-t-il eu une plus grande coopération des Marocains ou des Algériens ?

Mon expérience personnelle au Maroc et en Algérie a été très positive. Les deux pays partagent une histoire de voisinage, et il existe des différences et aussi des similitudes. Concernant le patrimoine, il est très intéressant de voir comment dans toutes les villes sont apparus des groupes favorables à la conservation du patrimoine. Et, personnellement, de toujours travailler dans ces lieux m’a permis notamment d’avoir des collaborateurs qui sont finalement devenus des amis. Nous ne pouvons pas tous cesser d’être Méditerranéens.

Quel bilan faites-vous de vos années de travail à Oran ?

J’ai appris à connaître la ville, à découvrir son histoire en visitant ses monuments. Je suis surpris par Santa Cruz, Rosalcazar, la Qasba, la Puerta de España, le vieux quartier, malgré son mauvais état actuel, et aussi la beauté de la ville moderne avec des bâtiments art nouveau et art déco. Ma conclusion est que j’ai trouvé une nouvelle ville dans laquelle je me sens à l’aise et que je considère déjà comme l’un de mes endroits préférés pour passer du temps parmi ses habitants.

Entretien réalisé par : SAID OUSSAD

Bio-express : Docteur espagnol en histoire de l’art, Antonio Bravo-Nieto est membre de l’Académie royale des beaux-arts de San Fernando (2000), de l’histoire (2001) et des beaux-arts de San Telmo (2002). En 2013, il a été nommé membre de l’Académie andalouse de l’histoire. Professeur du département d’histoire de l’art de l’université de Malaga pendant six ans, il a collaboré à différents projets de recherches avec diverses universités et institutions, dont celui dans le cadre du programme Europe Créative pour l’étude de projets sur l’Algérie. Il est également l’auteur de plusieurs publications sur la ville d’Oran.

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